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Texte de Georges Quidet

galerie HCE

A propos de l'exposition :

" X Chants orphiques pour la Nature"

Curateur Gastineau Massamba Maminah

exposition collective : Anais Charras, Sara Danguis, Mohamadou Diop, M'Baye Habib, Aurélie Man, Catherine Olivier, Sylvie Pohin, Eizo Sakata, Balyc Shako, Yuri Zupancic,, Barthélémy Toguo

 

Les_yeux_fermés_III_pyrogravre_sur_carto

Avec la pyrogravure sur carton Catherine Olivier a trouvé le médium pour associer l’incise, la morsure, l’entaille de la pointe de feu et la douceur, la caresse du pinceau, pour unir les contraires, assurer leur fusion. Le feu brûle, mais il laisse aussi ses traces vacillantes sur les surfaces qu’il a éclairées. Il chauffe et déforme les images qui se recroquevillent comme du papier en flamme, durcit les traits et fond les apparences dans des formes roboratives. Les dessins constituent un ensemble étrange et très personnel,  unifié par une gamme de couleurs sépia et nimbé dans la patine du temps, comme des archives d’un monde irréel.

Yeux fermés III  pyrogravure sur carton  31x40cm 2019

La main s’aventure dans cette rêverie du feu, « les yeux fermés », dans un monde qui pourrait être celui d’Empédocle, où le feu manifeste son affinité avec les autres éléments qu’il pénètre pour créer et recréer le monde. Il devient eau, milieu liquide où tout se met à flotter, se glisse dans la méduse dont le contact peut brûler. A travers les flammes les choses sont affectées d’un léger tremblement, comme si elles se mettaient à vaciller, comme si elles retrouvaient leur être d’air et de souffle, ou l’épaisseur et la solidité de la terre. Le feu passe sur le  dessin qu’il fragilise et enfièvre, dont il ravine et creuse certains sillons et dont  surtout il laisse des empreintes à la surface, fluides et frissonnantes de sens, qui conservent la chaleur, la légèreté de l’ébullition qui les a laissées là. Le feu passe comme il est passé un jour sur la maison de son enfance, qu’il a complètement détruite, ne laissant que le « rien » à apprivoiser.

  

Avec cet outil en main Catherine « brûle », non au sens où elle s’enflammerait, mais comme on dit « brûler » dans un jeu : elle s’approche des secrets orphiques de la nature et de son érotique cachée, qu’elle laisse frémir en toute transparence à la surface des images auxquelles la pointe de feu vient de donner une autre présence. Hegel décrit l’homme grec de l’Antiquité interrogeant avec passion et sans relâche le frisson de la nature qui se manifeste dans le bruissement des éléments, des feuillages, des sources, du vent, pour y percevoir le dessin d’une intelligence. Le dessin au feu de Catherine reprend un dessein semblable, il tend vers le souffle ou la tension des images mises en scène, vers ce qu’elles appellent. Les traces de la pyrogravure opèrent comme des conducteurs d’énergie graphique, font glisser silencieusement les images dans d’autres espaces.

 

La série « les yeux fermés » est particulièrement  suggestive sur le passage  des images dans d’autres univers. Elles bougent au gré des tropismes brésiliens qui inclinent l’artiste  dans le moment présent. La méduse qui nait de la brûlure du carton se met à flotter dans la langue polysémique de l’eau. C’est de l’eau sculptée en forme de cloche avec des tentacules, une ombrelle translucide qui évolue entre les profondeurs du « ça » aqueux et la clairière de lumière, dans la langue brésilienne de Clarice Lispector. Elle est « agua viva », eau vive et c’est ainsi qu’elle vit  en portugais. Elle a perdu le pouvoir de méduser qu’elle avait dans la mythologie grecque, mais emporte tout ce qu’il y a de fascinant dans l’eau vive, la vie et la production des vies, la respiration des êtres vivants et les vibrations qu’ils dégagent

Yeux_fermés_II_32,5x38cm_pyrogravure_sur

Dans une autre version des « yeux fermés » c’est l’érotique du pied nu  au contact de la nature qui se met en scène dans les empreintes du feu. D’un côté l’architecture vigoureuse de la feuille avec ses nervures, ses sillons d’énergie profondément creusés et de l’autre la corne d’un animal avec ses invraisemblables enroulements, ses plissements,  ses forces d’expansion rapides, tout ce qui tend à assimiler la corne à une forme érectile. L’anglais avec son « horny » ne s’y trompe pas…La plante des pieds est connectée par ses lignes à tous les émois sensuels du corps et s’ajuste à ceux de la nature, et ça marche, ça marche bien.

Yeux fermés II pyrogravure sur carton 31x40cm 2019

Texte de Jean Pierre Gattégno

 à propos de Jeux de mains V

Je m’étais agenouillé sur l’herbe, entre deux autres vendeurs, pour étaler ma marchandise : cafetières, fers à repasser en plus ou moins bon état, casseroles, (certaines un peu rouillées, mais utilisables), verres ébréchés, service à café auquel manquaient des tasses et des soucoupes. De la marchandise bon marché pour pauvres. Le soleil d’automne projetait une ombre un peu floue sur ces objets. Seule la mienne, curieusement, apparaissait avec des contours bien nets.

Un homme s’arrêta devant moi, je crus que c’était pour mes articles. Mais, au lieu de se baisser pour mieux les voir, il resta debout, les yeux fixés tantôt sur moi tantôt sur le sol. Il était vêtu d’un habit de taffetas gris, semblait âgé et son sourire avait quelque chose de cruel, comme s’il se délectait des malheurs d’autrui. Il me déplaisait, mais c’était peut-être un client, 

« Si quelque chose vous intéresse, lui dis-je. Je peux vous faire un prix. »

Son sourire s’accentua en une sorte de rictus qui me mit mal à l’aise.

« En effet, répondit-il, quelque chose m’intéresse.

- Quoi donc ?

- Votre ombre.

- Mon ombre ? dis-je, incrédule.

- Oui, votre ombre, regardez avec quelle précision elle se dessine sur le sol. Rien

ni personne autour de nous n’en a une aussi belle. »

Je crus avoir affaire à un fou mais il avait raison : aucune ombre n’avait la netteté de la mienne. 

« Je vous cherche depuis longtemps, continua-t-il, je vous ai enfin trouvé.

- Vous me cherchiez ? Vous me connaissez ?

- Bien sûr, je vous ai déjà rencontré.

- Et où donc ?

- Sur un tableau intitulé Jeux de mains V, vous l’avez déjà vu ?

- J’ai dû le voir dans un musée ou dans une galerie. Je ne sais plus.

- Vous y êtes dans la même position qu’en ce moment, votre silhouette un peu massive est reconnaissable entre toutes.

- Je m’en souviens maintenant, mais je n’ai jamais compris pourquoi, sur la poitrine du personnage étaient posées deux mains. 

- Ce sont les miennes. 

- Les vôtres ? »

Cette fois, je fus persuadé qu’il était sérieusement dérangé.

« Elles sont sur le tableau, continua-t-il. Mais moi, je les vois aussi sur vous, ça me permet de vous identifier avec certitude. Je me méfie des contrefaçons. »

Il observa quelques instants de silence, puis :

« On croit que c’est nous qui produisons notre ombre, mais, c’est le contraire, c’est elle qui nous produit. Sur ce tableau, vous semblez projeter l’ombre devant vous, elle touche vos genoux et vos mains. Mais en réalité, elle vous crée. Vous êtes son reflet. Je ne pouvais évidemment pas acheter votre ombre au tableau, il fallait que je m’adresse à vous, en chair et en os. »

Un tel propos parut insensé. Mais, même avec un fou, on ne râte pas une affaire : ce type voulait acheter mon ombre, eh bien qu’il l’achète ! 

« Combien m’en offrez-vous ? »

Il sortit de la poche intérieure de sa veste un portefeuille qu’il me tendit.

« Servez-vous. »

Le portefeuille contenait un billet de cent euros.

« Cent euros pour une  ombre pareille ? Vous plaisantez ! m’exclamais-je. 

- Prenez le billet, vous verrez bien. »

Je fis comme il dit, aussitôt un autre billet apparut à la place du précédent.

« Continuez ! »

Je m’exécutais. Chaque fois que je prenais un billet un autre le remplaçait. Bientôt, je me trouvai possesseur de plusieurs milliers d’euros.

« Ce portefeuille fera de vous l'homme le plus riche du monde. Personne ne reprochera à l'homme le plus riche du monde de ne pas avoir d’ombre. Si vous acceptez ce marché, le portefeuille est à vous.» 

Un vendeur de casseroles usagées pouvait–il refuser ce marché ? J’acceptai.

« Qu’allez-vous faire de mon ombre ? demandai-je, néanmoins inquiet.

Il ne répondit pas, s’accroupit, détacha légèrement mon ombre du gazon, la plia et la mit dans sa poche. Puis il s’éloigna après m’avoir salué.  

Les vendeurs à côté de moi paraissaient interdits.

« Eh bien collègue, tu as fait une excellente affaire, me dit l’un.

- Tu n’aurais jamais dû accepter, me dit l’autre. Cet homme est le diable. »

Ils en discutèrent âprement et furent sur le point d’en attiver aux mains.

Et je ne savais lequel des deux croire.

093 Jeux de mains V pyrogravure sur toiles 42 x 30 cm 2011 Catherine OLIVIER disponible.jp

Jeux de mains V dessin pyrogravure sur toiles

 

   texte de Maxime Jean Baptiste  sur  " Les formes muettes du voyage " 

 

"La nouvelle installation de l’artiste Catherine Olivier s’intitule « Les formes muettes du voyage », et vient questionner notamment la notion de territoire. C’est une notion, mais c’est aussi un fait, « un acte qui affecte les milieux et les rythmes »*, et nous fait percevoir un espace donné avec une certaine projection, des idées déjà construites, un récit national ou intime.

Le territoire est une réalité, dans laquelle nous vivons, une réalité aussi parfois basée sur une fiction étatique. Mais cette fiction a aussi un pouvoir concret, un pouvoir physique sur les corps et les esprits, et justifie parfois des actes innommables comme nous pouvons en être témoins aujourd’hui.

Le territoire est aussi intime, n’est pas directement visible ni entendable. Il est à l’intérieur de nous, et de ce fait, se trouve être en mouvement.

C’est peut-être ce que vient questionner aussi l’installation de Catherine Olivier, où la forme de la maison, lieu par essence de l’intime et du privé, des racines et de l’identité, n’est plus désormais accrochée à un espace terrien. Il flotte et est en mouvement. C’est une réalité que nous vivons actuellement, le mouvement. Ce mouvement, il est parfois décidé, désiré, suit une impulsion et un désir intérieur d’aller voir ailleurs. Parfois ce mouvement est imposé, et produit du déracinement. La maison est alors flottante, n’arrive plus à se poser car il n’y a plus de terre.

A ce sujet, les corps dans une grande partie de l'œuvre de Catherine Olivier, sont d’ailleurs toujours dans des positions indéterminées. Ce ne sont pas des corps décidés et ancrés, mais des corps en attente, en pause, parfois perdus, détachés, parfois dans l’ennui. Les corps aussi sont souvent de dos, regardent ailleurs que nous spectateurs. Ils n’attendent pas forcément notre attention. Ils ont leur propre vie et réalité, leur propre intériorité. Il est rare de voir une dépiction aussi juste de cette émotion d’entre-deux, d’indétermination, qui est une émotion qui aujourd’hui nous prend avec force. Le futur est indéterminable, et l’enracinement se voit compliqué.

Dans l’installation, on retrouve cette émotion dans ce personnage féminin presque de dos, qui lie une possible lettre, pendant que d’autres flottent derrière elle. On ne sait pas ce qu’elle lit, elle-même peut-être ne le sait pas. C’est comme si Catherine Olivier captait le moment après que la femme ait lu une nouvelle difficile. C’est juste ce moment après, où l’on se sent absent, dissocié, et l’on devient mécanique car on essaye par-dessus tout de rester dans le réel, accroché au réel.Ces moments particuliers, l’artiste les capte avec justesse et précision.

Pour revenir au mouvement, il est important aussi de signaler que son travail est aussi très fort influencé par le cinéma. Nous pourrions penser au travail de Michelangelo Antonioni, de Chantal Akerman ou d’Andreï Tarkovsky, où les expressions des corps représentés ne nous sont pas directement communicables. Il y a de nombreuses émotions qui passent à travers l’esprit du personnage, on ne peut discerner si facilement s’il s’agit d’une réminiscence ou d’une absence. Akerman ne nous explique pas directement la raison pour laquelle Jeanne Dieleman est emprisonnée dans un quotidien mécanique, n’ayant accès en tant que spectateur à aucune parole qui nous donnerait accès à l’intériorité du personnage. Mais on ressent de manière puissante, qu’un bruit, qu’une force, qu’une violence crie à l’intérieur du corps. Ou qu’un silence encore plus assourdissant est en elle. De même, le travail de l’artiste reste en suspens et ne nous explique pas directement le vécu des personnages représentés. Il s’agirait à ce titre, plus de figure que de personnage pour être plus juste.

Le titre de son installation, « Les formes muettes du voyage », prend dès lors un sens très clair. Catherine Olivier donne un espace justement à ce qui nous traverse dans un voyage physique comme intérieur. Cette femme, de dos, qui défile des lettres ou des cartes postales, vit un moment de voyage intérieur, sans trop bouger, en restant là. Et c’est là où peut aussi se poser notre regard, dans cette condition d’incertitude. C’est une invitation à poser notre propre sensation, notre propre projection, sans être poussé à dire quoi que ce soit, sans avoir d’imposition. Le travail de Catherine Olivier est une invitation à la contemplation, et cela nous est on ne peut plus nécessaire aujourd’hui où le monde semble sans cesse devoir signifier tout et rien. Il s’agit d’un lâcher prise, d’une ouverture, où le corps n’est plus séparé d’un entouré, d’un environnement, d’un paysage, mais en fait partie. Les éléments coexistent et s’interpénètrent, et nous nous laissons prendre aussi, en tant que spectateur, dans cet espace immersif et ouvert, à sans cesse redécouvrir chaque parcelle."

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